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Radical Notes

Présentation des Radical Notes de Andrea Branzi

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Alessandro Mendini worked on “Casabella”, from No. 349 in June 1972 to No. 413 in May 1976, and during this period, Andrea Branzi wrote 27 “Radical Notes”. The approach is clearly a critique of the dramaturgy of modernism and its formal language. Presentation of Andrea Branzi's Radical Notes.

Du zeitgeist au progetto, les Radical Notes de Andrea Branzi (1972-1975)

C’est dans le numéro 377 de Casabella de mai 1973 qu’Alessandro Mendini, alors responsable de la rédaction de la revue, présente dans un petit texte éditorial ses objectifs. Le paragraphe intitulé « Didactique des métiers » est le suivant :

Le design traditionnel se débat de plus en plus – privé d’oxygène – dans ce qui était autrefois une mer et qui est aujourd’hui réduit à un étang. La matrice idéologique positiviste et rationaliste est usée, l’approche institutionnelle est devenue stérile ; d’« autres » alternatives sont nécessaires, l’étang doit être reconquis avec des apports sains de l’extérieur.

Depuis quelque temps, Casabella documente et classe toutes ces alternatives, en sondant chaque expérience, provocation, ou canal approprié. C’est ainsi qu’une série précise de présences internationales, représentatives de ce que nous appelons le « design radical », et qu’Andrea Branzi consigne mois après mois dans la section « Notes radicales », s’est coagulée autour de la revue, au fil d’interminables discussions, voyages et recherches1.

On peut noter qu’Andrea Branzi écrit « Radical Notes » en anglais. On peut le voir comme une attache théorique aux évolutions de la société britannique où aristocratie et bourgeoisie organisent à partir du XVIIIe siècle la production industrielle mais aussi la hiérarchie entre haute culture et culture populaire.

Ainsi pendant la période où Alessandro Mendini s’occupe de Casabella, du numéro 349 de juin 1972 au numéro 413 en mai 1976, Andrea Branzi rédige 27 Radical Notes2. L’approche constitue clairement une critique de la dramaturgie du modernisme et de son langage formel. Andrea Branzi, en détricotant le mythe de la modernité, déconstruit la trame exposée lors des différents CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne) et notamment dans la deuxième Radical Notes avec l’Existenz Minimum3. Basé sur une idée d’un résultat infaillible et une vue optimiste, celle de la croissance perpétuelle par une industrie résolvant les difficultés par une même trame d’analyse et surtout un identique mode opératoire, le designer et théoricien dénonce l’enfantement d’une organisation du projet par typologies, cellules d’habitation, gestion des gestes du quotidien, logements unitaires, aboutissant à une urbanité déplorable et réductrice socialement et politiquement. Cette simplification des problèmes se matérialise par un langage formel qui émane de l’usine, aboutissant irréductiblement dans une appréciation à court terme4. Par cette expression, Andrea Branzi met en tension deux visions de la culture : l’une à court terme, l’autre à long terme.

La première est exposée ainsi :

Il existe (et cela est bien clair) deux conceptions différentes et opposées du terme ‘culture minoritaire’. Il existe une conception qui entend la culture minoritaire comme échantillon d’objets à re-trouver et à proposer à travers l’usage de technologies plus complexes et qui est généralement basé sur un ensemble de « valeurs historiques » à défendre. Cette définition est largement acceptée dans la culture bourgeoise en crise comme unique possibilité de re-coudre un contexte culturel de manière gérable. […] Et cette dernière attitude passe pour la plus grosse escroquerie sociale, la plus grosse duperie écologique, par le dessein des gestions de la société comme opération supérieure et culturelle (fascisme)5.

De l’autre côté une réforme plus longue de la culture :

La culture officielle dans des moments similaires a toujours été très sage, laissant décharger la charge initiale et récupérant après à eaux plus calmes la rénovation linguistique. […] En effet, la ‘destruction de l’architecture’ comme slogan créé pour souligner la constante du signe négatif à l’intérieur du phénomène expérimental de ces dernières années n’a aucun destin historique sinon d’accompagner une ‘stratégie à long terme’. […] J’entends par là au moins la conscience à l’intérieur du cycle de la production culturelle, c’est-à-dire des rapports réels existant entre opérateur projectuel et utilisateur, en termes d’aliénation créative, de barrière technologique des arts, de corrosion sociale des plateformes, des valeurs esthétiques et culturelles en général. […] L’utopie, si elle se remplace à terme et dans le futur, simplement dans la société actuelle, elle ne sert à rien, elle n’a de valeur que quand elle devient un accélérateur artificiel des processus actuels sur lesquels on entend opérer. […] Comme on le sait bien, la ‘distribution de la culture’ n’arrive pas à travers la culture alternative, mais à travers un usage social de la culture elle-même. La ‘stratégie à long terme’ sert juste à individualiser ce passage de main formant un sens positif à la réduction à zéro des canaux de communication unidirectionnels constitués du travail esthétique6.

L’un des défis majeurs de la mouvance italienne radicale est alors de créer une vision à long terme7 où les valeurs humanistes jouent le rôle majeur dans les procédés des techniques et ceux de la production. Ces dernières (technique et production) sont diversifiées à travers la participation8, le renouveau de l’artisanat et les techniques simples9 afin d’éviter, comme l’écrit Andrea Branzi :

[une] écologie répressive [comme] la grande arme de refondation culturelle de la morale bourgeoise (le concept de « nature » passant directement de l’économie libérale à l’urbanisme), et une avant-garde heureuse d’exister, mais incapable de se définir elle-même ou d’expliquer ses propres programmes. Et, par là, je n’entends pas des programmes unitaires (chacun a le droit de concevoir et consommer sa propre culture), mais la capacité de repérer à l’extérieur de soi-même des phénomènes analogues ou des lois structurelles auxquelles se référer10.

Gardant la même logique entre urbanisme, architecture et design, Andrea Branzi axe ses analyses sur plusieurs gageures :

  • Celles de l’arrangement spatial et les représentations sociales de la rue, des stratégies d’interrelation,

  • Celles des problématiques de la communication à travers les nouveaux médias naissants.

La métropole est à l’instar une masse industrielle où ville et campagne font partie d’un ensemble semblable et unique issu d’une vision similaire et identique. Si le mot design n’apparaît pas, c’est précisément qu’il est vu comme ubiquité. Cette omniprésence que nous vivons actuellement met le mot design « à toutes les sauces » et doit être réaffirmée par son lien entre production, organisation politique et cadre de vie dans une trame de projet complexe, à l’opposé de la vision et des méthodologies unitaires. Cette stratégie doit, pour les Italiens, aboutir à une industrie pour le design et non à un design pour l’industrie :

  • Ainsi, le rôle d’une école doit être revu pour apprendre à penser le projet dans la complexité et en fonction d’une perpétuelle remise en question des problématiques sociales et politiques.
  • L’urbanisme est vu comme un ensemble vivant donnant lieu à la superposition des différentes représentations des enjeux sociétaux.
  • L’architecture s’articule avec le design, notamment à travers le fait d’acter que celle-ci, issue de modes de construction venant de la taille de la pierre, doit se transformer pour aboutir à une vision plus ouverte articulée sur les éléments architecturaux industriels, artisanaux ou autres dans un principe d’ouverture et d’inter-production où l’homme et sa culture peuvent intervenir.
  • Et c’est aussi par ce biais-là que l’écologie devient politique et non une vision absolutiste de gestion de flux industriel ou maintenant numérique.

Liste exhaustive des Radical Notes écrites entre juin 1972 (n° 349) et mai 1976 (n° 413)

Les « Radical Notes » indiquées par * sont proposées avec leur traduction de travail par Nathalie Bruyère, revues par Catherine Geel.